• Ottavio LEONI (1578-1630) est un célèbre portraitiste, surnommé le Padovinano car son père, également peintre, était appelé le Padovino ! Il réalisé de nombreux autres portraits que celui du Caravage : le Guerchin, le Bernin, Simon Vouet par exemple. Le pape Grégoire XV le protégéa et en fit un Chevalier (source Biographie Universelle).

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    Dominique FERNANDEZ : La Course à l'abîme

    Grasset, 2002 (et Livre de Poche n°30317)


    Voir le portrait du Caravage par Ottavio Leoni dans l'Album (Portraits-Autoportraits)


    La "Course à l'abîme", gros roman de 786 pages, est une biographie haletante scindée en quatre livres, où Dominique Fernandez, en spécialiste de la civilisation italienne, de la renaissance et du baroque, fait revivre un génie de la peinture dont tous les dictionnaires reconnaissent la vie agitée : le CARAVAGE.

    Le Livre I commence par rappeler les diverses théories échafaudées pour relater la mort du Caravage avant d’entamer une biographie serrée où l’imagination de Dominique Fernandez et sa connaissance de l’Italie du Cinquecento et du Seicento s’en donnent à cœur joie pour notre régal.

    Le jeune Michelangelo Merisi, né à Caravaggio en Lombardie le 29 septembre 1571, se trouve bientôt orphelin de père, sans doute assassiné pour avoir reproduit des tableaux du Vinci, pour la famille Sforza Colonna. Le jeune garçon est placé comme apprenti dans l'atelier de Simone Peterzano à Milan. Arrêté pour avoir fréquenté des peintres que l'Inquisition considère comme hérétiques, il est marqué au fer rouge à l'épaule d'une fleur de chardon. En prison, il perfectionne son art d'après les gravures qu'on lui fournit.

    Le Livre 2 nous conduit à Rome où le jeune peintre fait connaissances du cercle des disciples de Filippo Neri et travaille quelques années à peindre des natures mortes pour le Cavaliere d'Arpino avant de devenir le protégé de personnalités proches du trône de Saint-Pierre. En même temps s'affirment les amitiés particulières de celui qu'on appelle encore Merisi. On est sous le pontificat de Clément VIII, un Aldobrandini, puis de Paul V, un Borghese.

    Le cardinal del Monte retire Merisi de l'atelier du Cavaliere et l'installe au palais Madama. Ainsi commence une carrière de peintre religieux au service de la Contre-Réforme avec des œuvres dont la sensualité provient de la présence de Rutilio, puis de Mario et de Gregorio, les petits amis successifs de l'artiste, qui les fait poser, plus ou moins nus, pour ses tableaux. Il fait connaissance de Rome, de ses peintres, de ses réseaux de pouvoir (les grandes familles, parti français ou parti espagnol, qui font les papabili), et de ses bas-fonds d'où émergent des figures de prostituées au grand cœur, de bandits cruels et de mendiants photogéniques —si l'on peut dire.

    Les autorités pontificales veillent et à plusieurs reprises les peintures sont examinées de manière critique notamment par la Congrégation du Saint-Office. Les argumentations vont bon train et l'on rivalise de culture païenne autant que chrétienne. Certains commanditaires refusent les tableaux en raison de détails ou de l'impression générale qui s'en dégage. D'autres en profitent, des amateurs d’art, comme Scipion Borghese, pour en augmenter leur collection. Sont-ils dupes de son penchant érotique pour les jeunes garçons ? Les querelles interprétatives les plus pointues n’empêchent pas quelques uns d’être un peu perspicaces :

    « Ce tableau montre trop crûment le degré de votre intimité » affirme le cardinal Del Monte. Ou encore : « Merisi, tu n'as peint que des garçons! Prends pour modèles des femmes.» Le Caravage refuse d'épouser la servante du cardinal et les femmes qu'il fréquente et choisit comme modèle sont les prostituées du quartier. « Quelle impiété ! Je reconnais les modèles, ce sont deux créatures de la place Navona…» affirme le curé de San Agostino. L'enquête qui prenait une mauvaise tournure est arrêtée par la nouvelle de la mort de Filippo Neri aussitôt voué à la canonisation. Mais le danger vient d'ailleurs : des fréquentations des bas-fonds, des imprudences de Mario, le jeune éphèbe n'est effet qu'un criminel sicilien en cavale, menacé par un chef de bande romain.

    Avec le Livre III, Michelangelo Merisi voit sa fortune grandir. Il choisit de s'appeler Caravaggio. Il est établi avec Mario dans la maison de la ruelle du "Divino Amore" prêtée par le cardinal del Monte. Le Caravage est amené à découvrir le Palais Farnèse où Annibale Carracci multiplie les nus, tandis que Clément VIII voudrait cacher toutes ces nudités, plus masculines que féminines, aux pèlerins venus à Rome pour l'année sainte. Le pape fait place nette et Giordano Bruno meurt sur le bûcher dans la Ville Éternelle.

    Pendant ce temps, le Caravage multiplie les tableaux religieux : Judith et Holopherne, la Vocation de saint Matthieu, la Déposition de Croix, le martyre de saint Pierre, une Madonne à l’enfant Jésus avec sainte Anne, etc. Il visite Florence. Il est de nouveau atteint par la malaria. Il assiste à Orfeo ed Eurydice de Monteverdi et trouve l’opéra ennuyeux. Le ron-ron du succès est cassé par la rencontre avec Gregorio. Celui-ci provoque la jalousie de Mario qui regagne sa Sicile natale et Antonietta sa promise. Le Caravage fait poser Gregorio pour quelques unes de ses toiles les plus célèbres, comme l’Amour victorieux.

    Quand une commande d’Acquaviva, le général des Jésuites, lui échappe au profit de Baglione, le Caravage et ses amis voient rouge et multiplent les rixes contre lui et son parti. Le Caravage est plusieurs fois arrêté et jeté en prison, et puis, une rixe plus grave se traduit par la mort de Ranuccio Tomassoni, le bandit qui avait violé Mario. Le Caravage avait promis de le venger. C’est chose faite le 16 mai, jour anniversaire de l’élection du pape Paul V. Celui-ci, bien qu’il ait fait faire son portrait par le Caravage, a décidé de le condamner à mort.

    Dans la dernière partie (Livre IV), on suit les errances finales du peintre, ponctuées jusqu’à sa mort par la production de nombreux tableaux. Après un bref refuge au sud du Latium chez un prince Colonna, la renommée le poursuit à Naples, à Malte et en Sicile. Le Caravage et Gregorio partent pour Naples chez le prince Carafa dont le cousin rentre de Malte. Une occasion pour Caravage de se débarrasser de Gregorio : il est emmené à Malte par Fabrizio devenu général des galères maltaises.

    Le roman permet de rencontrer d’étonnantes figures comme le prince Venosa qui est connu pour avoir tué sa femme et son amant, mais est resté prieur de la chartreuse, ou comme le Grand-Maître de l’Ordre de Malte, un homme qui n’aime pas les femmes, cet Alof de Wignacourt qui lui raconte sa guerre contre les Turcs, lui présente son jeune page et le nomme chevalier de l’Ordre. Naturellement Caravage a fait leur portrait. Mais la tragédie avance : le peintre enlève le mignon et se retrouve en prison. Peu après, il en est délivré par le général des galères en personne (masqué, quand même…) qui l’expédie à Syracuse. Et là, devinez qui on retrouve ? Mario, bien sûr. Devenu père de famille, il habite un vieux palazzo dans la "giudecca" et sa cave débouche sur les bains juifs datant de plusieurs siècles (découverte archéologique récente).

    La traque continue. Mario et Caravage fuient en bateau en direction de Messine. Le temps de peindre une Résurrection de Lazare puis une Adoration des Bergers c’est la fuite vers Palerme. D’où un bateau de pêche permet de rejoindre à Naples le 7 octobre, un an jour pour jour après la fuite de Malte. Là, Gregorio reparaît et reprend brièvement son rôle de modèle. Mais les agents de Wignacourt passent à l'attaque. Caravage est gravement blessé et transporté au palais Colonna. Une nouvelle bataille oppose les agents maltais et les domestiques du prince Carafa.

    Une dernière fuite est organisée : le Caravage, Gregorio et Mario se retrouvent le 15 juillet 1610 en Toscane, à Porto Ercole (Feniglia). Les notices biographiques nous disent que la malaria emporte Caravage. Le romancier, lui, parachève son œuvre inspirée : une rixe oppose les amants du peintre. Les bras en croix, l’artiste est poignardé par Mario tandis que les Maltais envoyés par le Grand Maître et les émissaires de Scipione Borghese vont capturer Gregorio. Et la chute : « La passion du Christ aurait-elle été complète sans les quolibets des soldats ?»

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    Voilà un roman jubilatoire. D'autant plus que, comme le Caravage n’a laissé aucun texte, aucun essai théorique, c’est par petites touches disséminées dans son roman que Dominique Fernandez nous enseigne la manière du peintre, et donc nous dévoile le caravagisme.


    Pour profiter des descriptions des tableaux, le lecteur a tout intérêt à se munir d’un bon ouvrage d’art consacré aux peintures du Caravage, ou à une galerie en ligne [ Galerie >].




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